Le jaïnisme, ou jinisme, du sanskrit Jina « vainqueur », est une religion (en précisant que le mot religion se traduit en Inde par dharma, un mot largement polysémique qui signifie autant « foi », « religion », « vertu » que « devoir », « nature propre », « bonne action », « chemin spirituel ») qui insiste en premier et dernier lieu sur le respect de l'ahimsâ (non-violence), en se basant sur la théorie du karma, des réincarnations, de l'écologie (et de l'écologisme), du non-dogmatisme, pluralité des points de vue ou non-absolutisme, et qui met l'accent sur l'ascétisme. Il ne commence pas, à l'image du bouddhisme, comme un mouvement de réforme à l'intérieur de l'hindouisme, car c'est une des plus anciennes religions au monde, qui vient de la plus haute antiquité – ou de la préhistoire (3000-3500 av. J.-C.), et qui devient une religion d'importance au cours du VIème siècle av. J.-C., sous l'influence de Mahâvîra, qui fonda une nouvelle congrégation appelée Samavasarana (« rassemblement »), parce qu'il donnait son enseignement à tous, sans distinction de communauté, de sexe ou d'âge. Le jaïnisme possède actuellement entre quatre et douze millions de fidèles dans le monde, ascètes et laïcs confondus, en majorité en Inde (30 000 en Europe et 100 000 aux États-Unis).
C'est la rigueur avec laquelle les adeptes suivent les préceptes du jaïnisme, et l'éthique qui en découle, qui leur a donné une surreprésentation dans les milieux culturels, politiques et des affaires au sein de la société indienne (les jaïns forment la communauté de l'Inde ayant le plus grand nombre de personnes sachant lire et écrire). Au niveau mondial, le temple d'Anvers à Wilrijk est le plus grand temple jaïn érigé en dehors de l'Inde, afin de mieux promouvoir les valeurs jaïnes à travers l'Europe occidentale. Il existe d'autres temples jaïns en dehors de l'Inde, notamment en Grande-Bretagne (à Potters Bar, Londres, notamment) et aux États-Unis. Il est à noter que le jaïnisme n'est pas une religion recherchant la conversion des personnes à ses croyances (cette religion n'a aucun système organisé pour répandre sa doctrine, hormis ses fêtes religieuses réunissant laïcs et moines itinérants ; il est possible néanmoins de devenir jaïn en suivant les « Trois Joyaux » du jaïnisme) ; cependant, les jaïns, tout spécialement, ont fortement participé à la propagation de la non-violence (ahimsâ), de la charité universelle, du végétarisme ou du véganisme, au sein de la société, à toutes les époques et pour toutes les personnes ou créatures, au-delà des frontières idéologiques et communautaires
Le jaïnisme partage de nombreuses et apparentes ressemblances avec l'hindouisme et le bouddhisme, mais il doit en être cependant différencié. Le jaïnisme est, d'un point de vue philosophique, un matérialisme éthique et sur le plan conceptuel, un agnosticisme (syâdvâda, de syat, signifiant « peut-être » : aucune vérité absolue ne peut être énoncée, mettant en garde contre toute guerre idéologique et violence – liée au fanatisme). Malgré ses temples, le jaïnisme peut être considéré comme « transthéiste », mais il n'est pas athée (les dieux – forces de la Nature – existent et se réincarnent sous différents états d'êtres vivants), en précisant que certaines branches du jaïnisme refusent le culte des idoles ; ainsi :
« Le culte, intérieur et extérieur, a valeur uniquement subjective et sert à la concentration de l'esprit du fidèle sur l'exemple d'êtres parfaits que l'on peut imiter, mais qu'on ne peut prier d'intervenir dans le destin de l'homme. L'homme, en dernier lieu seul avec lui-même, en compagnie de son seul effort, pourra parachever l'ascèse qui le portera à la paix au-delà de toute expérience humaine. »
La philosophie jaïne considère le monde comme infini, univers symboliquement représenté sous la forme d'un corps cosmique, géant femelle ou mâle où, en son sein, les créatures se réincarnent sous différentes apparences depuis toujours. Selon le jaïnisme, l'univers, qui est infini, n'a pas été créé, et il ne cessera jamais d'exister :
« Le monde est incréé ; il n'a ni commencement ni fin, il existe par sa propre nature ; il est plein de jīvas [substances vivantes, âmes] et d'ajīvas [substances sans vie] ; il existe dans une partie de l'espace et il est éternel. »
— Samana Suttam.
Toutefois, soumis à des changements, il traverse une série continue de périodes d'ascensions et de déclins. Chaque période est divisée en six phases. Nous serions actuellement, selon cette optique, dans la cinquième phase d'une période de déclin (à rapprocher de la Kali-Yuga des hindouistes).
Quand l'univers aura atteint sa phase de déclin la plus basse (la sixième), le jaïnisme lui-même disparaîtra complètement. Puis, au cours de la suivante, il sera redécouvert et réintroduit par de nouveaux chefs spirituels appelés Tîrthankara (en sanscrit « les faiseurs de gué ») qui enseigneront à nouveau comment permettre aux âmes de mettre fin à leurs transmigrations successives (samsâra) et d'atteindre ainsi pour toujours leur libération (moksha).
Dans chacune de ces longues périodes — qui font penser au jour de Brahma de l'hindouisme —, il y a toujours vingt-quatre Tîrthankara. Dans l'ère actuelle du monde, le vingt-troisième a été Pârshavanâtha, un ascète et prophète, qui aurait vécu vers 850 - 800 av. J.-C.. Ce fut un réformateur qui réclama un retour à la croyance et aux pratiques de la tradition religieuse originale. Le vingt-quatrième et dernier Tirthankara de cette ère est connu par son titre, Mahâvîra, le « grand héros » (599 - 527 av. J.-C.). Ce fut aussi un maître spirituel errant qui a rappelé les jaïns à la pratique rigoureuse de leur foi antique.
Les jaïns croient que la réalité de l'univers est composée de sept principes éternels
L'âme et la matière sont des substances identiques, dont l'une est consciente tandis que l'autre ne l'est pas ; elles sont douées de qualités fondamentales (guna) ; il existe deux catégories d'âmes :
Jîva et pudgala sont éternels ; ils ne sont pas venus à l'existence et ils ne cesseront jamais d'être. Le monde entier est constitué de jîva emprisonnés dans de l'ajîva ; il y a des jivâ incorporés dans l'air, la terre, l'eau, le feu, les plantes, les insectes, les animaux, les êtres humains, les êtres célestes et les êtres infernaux.
Tout contact du jîva avec le pudgala engendre de la souffrance. Ainsi, les Jaïns constatent que ce monde est souffrance et ils estiment que ni les réformes sociales (en leur essence, car sinon le jaïnisme pousse à une société humaine fondée sur la charité universelle), ni les efforts non méritoires ou non valables des individus ne pourront jamais la faire cesser. Dans chaque être humain, un jîva est emprisonné, et ce jîva souffre en raison de son contact avec l'ajîva. La seule manière d'échapper à la douleur est pour le jîva (l'âme) de se libérer des transmigrations successives auxquelles elle est soumise et de parvenir ainsi au bonheur parfait éternel.
Les jaïns considèrent que c'est le karma qui maintient le jîva emprisonné dans l'ajîva et qu'il faut donc se débarrasser de celui existant et ne pas en acquérir de nouveau. La libération de l'âme est difficile. Les jaïns croient que le jîva continue à souffrir pendant toutes ses vies ou réincarnations, qui sont d'un nombre indéfini. Ils pensent que chaque action effectuée par une personne, qu'elle soit bonne ou mauvaise, ouvre les canaux des sens (vue, ouïe, toucher, goût et odorat), par lesquels une substance invisible, le karma, s'infiltre à l'intérieur et adhère au jîva, déterminant les conditions de sa prochaine réincarnation.
La conséquence des actions mauvaises est un karma mauvais, qui tire le jîva vers le bas, l'entraînant vers une nouvelle vie de condition inférieure sur l'échelle des existences. La conséquence des bonnes actions est un bon karma, qui permet au jîva de monter après sa vie actuelle ou dans une prochaine à un niveau plus élevé dans l'échelle des existences, là où il y a moins de souffrances à supporter. Cependant, les bonnes actions ne peuvent pas seules mener à la libération. La méditation, l'ascèse et l'équanimité sont aussi nécessaires.
La libération — ou moksha — s'obtient grâce aux différents moyens définis (les « Trois Joyaux ») par la doctrine jaïne que sont : la vision juste, la connaissance juste et la conduite juste.
Symbole Jaïn ; le svastika est un symbole majeur du jaïnisme. Ici, les points bleus entre les branches du svastika représentent les quatre mondes : en haut à gauche, le monde des hommes ; en haut à droite, le monde des dieux ; en bas à gauche, le monde des animaux et des plantes ; en bas à droite, le monde des démons : seul le monde des hommes est ouvert à la délivrance, grâce aux trois joyaux (en vert) du jaïnisme (vision juste, connaissance juste, conduite juste), qui permet d'accéder à la libération du cycle des réincarnations (le candra-bindue : en jaune) | |
Symbole officiel du Jaïnisme représentant le cosmos et sa devise : Parasparopagraho Jivanam (« les vies se doivent un mutuel respect »). La paume de la main représente la non-violence, le réconfort moral et la compassion. |
Le karma est le mécanisme de cause à effet en vertu duquel toutes les actions ont des conséquences auxquelles on ne peut se soustraire. Ledit karma a pour résultat de maintenir le jîva dans une suite ininterrompue d'existences durant lesquelles il va souffrir jusqu'à un certain degré. Ainsi, la libération du cycle des transmigrations implique le rejet du karma, la destruction de celui existant et l'évitement de la constitution de nouveau.
Au moment d'une mort sans karma, le jîva flotte vers le haut, exempt de tout pudgala, libéré de la condition humaine, exempt de toutes futures réincarnations. Il s'élève au-dessus de l'univers dans un endroit appelé Siddhashila. Là, identique à tous les autres jîva purs, il peut enfin éprouver sa vraie nature dans un calme éternel, dans un bonheur parfait. Il est alors totalement pur et libéré. La manière d'effacer le karma acquis consiste à se retirer du monde autant que faire se peut et à fermer le canal des sens pour empêcher toute matière karmique d'entrer et d'adhérer au jîva.
Dans leurs efforts d'atteindre le but le plus élevé qu'est le retrait permanent du jîva de toute souillure due à la matière karmique, les jaïns ne croient pas qu'un esprit ou un être divin peut les aider de quelque façon que ce soit. Ils considèrent que les dieux, les êtres célestes (deva, devî), peuvent influencer les évènements de ce monde mais qu'ils ne peuvent pas aider les jîva à obtenir leur libération. Celle-ci ne peut être réalisée que par les efforts soutenus de chaque individu. En fait, les dieux (les êtres célestes) ne peuvent obtenir leur propre libération qu'à la condition d'avoir été au préalable réincarnés sous forme d'êtres humains et d'avoir suivi le mode de vie des ascètes jaïns.
Les conséquences du karma sont inévitables. Les conséquences peuvent prendre du temps pour entrer en vigueur mais le karma n'est jamais stérile. Pour expliquer ceci, un moine jaïn, Ratnaprabhacharya, déclarait : « la prospérité présente d'un homme vicieux et la misère actuelle d'un homme vertueux sont respectives, mais viennent des effets de bonnes actions et de mauvais actes faits antérieurement. Le vice et la vertu peuvent avoir leurs effets dans les vies suivantes. De cette façon, la loi de causalité n'est pas violée ici. »
Le karma latent devient actif et porte des fruits quand les conditions favorables, pour l'accomplissement du karma, surgissent. Une grande partie de karma attiré porte ses conséquences avec des effets passagers mineurs, car généralement la plupart de nos activités sont influencés par des émotions négatives douces. Cependant, les actions, qui sont influencés par des émotions négatives intenses, causent un attachement karmique également fort et qui ne porte pas d'habitude de fruits immédiatement. Il prend un état inactif et attend des conditions favorables à son accomplissement (tel le temps, le lieu et l'environnement) pour surgir et se manifester, pour enfin produire des effets. Si les conditions favorables à l'accomplissement du karma ne surgissent pas, les karmas respectifs se manifesteront à la fin de la période maximale pendant laquelle le karma peut rester attaché à l'âme. Ces conditions favorables pour l'activation de karmas latents sont déterminées par la nature des karmas, l'intensité de l'engagement émotionnel au moment de l'attachement des karmas et de notre relation réelle au temps, au lieu, à l'environnement. Il y a certaines lois de préséance parmi les karmas, selon lesquels la réalisation de certains des karmas peut être reportée, mais non absolument annulée.
La philosophie jaïne a développé une doctrine qui lui est propre : le nayavâda ; l'être humain ne pouvant aller au-delà des limites de ses sens, que son appréhension de la réalité est partielle et n'est valable que d'un point de vue particulier, connu sous le nom de naya, le jaïnisme considère que la réalité est un complexe, non seulement en ce sens qu'elle constitue une pluralité (aneka), mais encore du fait qu'elle est l'objet de points de vue multiples (anekânta) : c'est pourquoi il estime que la réalité peut être perçue sous des angles différents, et donc, appréhendée sous certaines réserves.
Comme le naya est le moyen capable de constater vraiment une des caractéristiques d'un objet (sans contradiction), d'un point de vue particulier, les philosophes jaïns ont défini sept naya, qui sont :
Par exemple : quand on décrit divers ornements en or, du point de vue des modifications de l'or, on parle du point de vue modal (paryâra-naya). Quand les ornements en or sont décrits du point de vue de sa substance, c'est-à-dire de l'or et de ses différentes qualités, on parle du point de vue substantiel (dravya-naya).
On peut aussi parler du point de vue pratique ou du point de vue réaliste, notamment dans les discussions spirituelles. Quand il s'agit du point de vue pratique, ou de bon sens, on parle de vyavahāra-naya, alors que, lorsqu'il s'agit du point de vue pur, ou réaliste, on parle de nishchaya-naya.
Cette doctrine de l'appréhension partielle de la réalité constitue une mise en garde à l'encontre de ceux qui affirment que leur système est unique et qu'il permet de tout comprendre : elle ouvre la voie de la réconciliation des points de vue opposés et de leur harmonisation, en prenant en compte la relativité des différents aspects de la réalité.
La doctrine précédente fournit l'ossature de celle du syādvāda, en disant clairement que la réalité peut être considérée de nombreux points de vue différents, et qu'aucun ne doit être déclaré seul valable. Cela fait du jaïnisme une forme d'agnosticisme.
Le but de la recherche philosophique étant d'appréhender la réalité, les philosophes jaïns estiment que cette appréhension ne peut être faite en formulant uniquement des déclarations simplistes et catégoriques. La réalité étant complexe, aucune affirmation simple ne peut l'exprimer totalement, c'est la raison pour laquelle le mot syat, qui signifie « peut-être », « par certains côtés », est ajouté, par les philosophes jaïns, aux différentes affirmations la concernant.
Ces philosophes formulent sept propositions, sans la moindre affirmation absolue que ce soit, concernant la réalité, en les faisant précéder toutes du mot syat. Cela veut dire qu'une affirmation est toujours nuancée, qu'elle est relative, approchée, d'un certain point de vue, sous certaines réserves, et qu'elle ne saurait, en aucune façon, être considérée comme catégorique
Ainsi, lorsque l'on décrit une chose, on peut faire, sur la base du syādvāda ou de l'anekāntavāda, sept affirmations ou propositions ou énoncés, qui paraissent contradictoires, mais qui sont parfaitement vraies. On peut ainsi dire :
Ces diverses propositions peuvent être comprises au moyen d'un exemple : un homme est le père, n'est pas le père, et est les deux, sont des énoncés parfaitement intelligibles, si l'on comprend le point de vue à partir duquel ils sont exprimés. Par rapport à un certain garçon, cet homme est le père, par rapport à un autre il n'est pas le père, et par rapport aux deux, pris ensemble, il est le père et il n'est pas le père. Comme les deux idées ne peuvent s'exprimer par des mots en même temps, on peut dire qu'il est indescriptible, etc.
Ces sept propositions peuvent être exprimées à propos de l'éternité, de la non-éternité, de l'identité et de la différence, etc. de n'importe quel objet. Les philosophes jaïns estiment que ces sept façons d'affirmer donnent ensemble, une description adéquate de la réalité.
Le syâdvâda vise à coordonner, à harmoniser et à synthétiser les points de vue individuels dans un énoncé d'ensemble : comme la musique, il mêle les notes discordantes pour réaliser une parfaite harmonie.
Cette doctrine n'a pas un simple intérêt spéculatif, elle a pour but de résoudre les problèmes ontologiques et elle a une influence sur la vie psychologique et spirituelle de l'homme. Elle donne au philosophe un cosmopolitisme de pensée, en le convainquant que la vérité n'est le monopole de personne. Elle vise à abattre les barrières des religions sectaires et à répandre l'esprit de tolérance qui va parfaitement de pair avec l'ahimsâ (la non-violence) que le jaïnisme prêche depuis des millénaires.
La quintessence de cette doctrine, fort éloignée de la terminologie scolastique, c'est qu'en matière d'expérience il est impossible de formuler la vérité totale, et qu'en matière de transcendance de l'expérience le langage est insuffisant.
Du fait que l'axe principal du jaïnisme est d'éviter le maximum de préjudice à autrui, il a engendré une hiérarchie de la sensibilité des êtres vivants ; en effet, le jaïnisme considère que toute créature a une âme, une énergie vitale qui est la même pour tous les êtres vivants, âme sans forme, au pouvoir illimité, qui prend un énième corps éphémère qui sans elle serait « sans vie », c'est-à-dire incapable d'être conscient ou de ressentir quoi que ce soit. Plus une créature possède de sens, plus elle souffre, plus elle jouit : mais elle n'est pas encore libre. Ainsi, selon la tradition jaïne, il y a :
Selon le jaïnisme, toutes ces créatures produisent du karma, bon ou mauvais, qui engendre des destins, des renaissances et des conditions où l'on éprouve plus ou moins de peine, plus ou moins de joie, selon la bienveillance ou l'égoïsme des actes, paroles et pensées produits auparavant ; le but est de s'en libérer, en saisissant la chance d'être incarné, dans la vie présente, en être humain, afin de mettre en pratique la compassion pour toutes les créatures (ci-dessus mentionnées) ; les âmes libérées, quant à elles, n'ont pas de karma, ne sont plus liées à leur condition humaine dépassée par l'ascèse éthique proposée par le jaïnisme ; sans forme et sans taille, leur âme s'est réalisée (elle ne peut plus se réincarner), jouissant d'une connaissance et d'une perception parfaite, ainsi qu'une vigueur et un bonheur infini. Le fait que le jaïnisme considère que les éléments constitués d'air, de feu, de terre ou d'eau soient des êtres vivants rapproche cette religion de l'animisme (sans toutefois développer un aspect cultuel à leur égard), quoique cette théorie admet qu'il y a aussi dans l'univers des éléments sans âme, c'est-à-dire sans sensibilité, dénués d'énergie vitale, ajiva (comme le temps, l'espace, etc.).
De là, selon le jaïnisme, la violence faite aux êtres le plus dotés de sens (ou de sensibilité), comme l'homme, la vache, le tigre, le cochon, les oiseaux, les poissons, etc. (qui ont cinq sens et la capacité de penser ou de sentir la douleur), attire plus de karma asservisseur que la violence faite aux êtres à la moindre sensibilité, comme des insectes, ou des êtres à un seul sens, comme les plantes. Ainsi, le jaïnisme impose à ses adhérents d'éviter complètement la violence intentionnelle (en pensée, paroles et actes, directement ou indirectement) concernant les êtres à la sensibilité la plus développée, et, autant que possible, d'éviter au mieux la violence faite à l'égard des êtres vivants moins sensibles (sans système nerveux).
Le code moral du jaïnisme est considéré comme la simplicité même, et sa pratique, graduelle. Il est exprimé dans les vœux suivis par les laïcs dits petits vœux (anuvrata) et par les ascètes dits grands vœux (mahâvrata), vœux qui ne sont pas différents des cinq vœux moraux de base d'une des six branches de la philosophie hindoue – le Yoga-Sûtra de Patanjali –, ni des trois premiers devoirs de base (ahimsa, satyam, astya) de toute la communauté hindoue (les ârya ou « nobles » en sanskrit) des Lois de Manu.
Les membres de la communauté monastique sont obligés de respecter strictement ces cinq vœux ; les laïcs jaïns sont dispensés d'appliquer strictement les quatrième et cinquième : il leur est donc loisible de se marier, d'avoir des enfants et de posséder des biens matériels ; ainsi, ces vœux ne changent pas de nature mais de degrés, – les laïcs et ascètes possèdent le même code moral mais appliqué moins rigoureusement chez le laïc jaïn, afin qui ce dernier puisse vivre dans la société et apporter la nourriture aux ascètes, eux qui ne possèdent rien ni ne travaillent, guidant leurs disciples dans la pure non-violence.
Les cinq vœux majeurs des jaïns sont :
On peut noter que ce cinquième vœu est particulier, car il vise indirectement l'égalité économique, en empêchant l'accumulation de richesses par les individus. En effet, dans ce vœu, il est prescrit au laïc de se fixer une limite maximum de biens et de ne pas la dépasser, sous aucun prétexte. S'il lui arrive de gagner plus que la limite qu'il s'est fixée, il lui est recommandé de le dépenser en actes charitables, dont les meilleures formes sont au nombre de quatre :
La non-violence implique entre autres choses le véganisme ou végétarisme. La pratique alimentaire jaïne exclut la plupart des racines, car l'on pourrait causer du mal à un animal en les déterrant, et l'on détruit de facto une vie végétale (prendre un fruit, ou un légume, n'amène pas la mort de la créature végétale qui le produit), – ce respect se retrouve chez les bishnoïs aussi. Les ascètes et les pieux laïques jaïns ne mangent pas, ne boivent pas ou ne voyagent pas après le coucher du soleil et ne se lèvent pas avant son apparition, toujours pour éviter de blesser un être vivant par manque de lumière ou à cause des lampes, des bougies, etc. qui pourraient brûler les insectes attirés par leurs flammes dans la nuit.
La société des jaïns est aussi duale que leur univers, où tout est néanmoins interdépendant. D'une part, il y a les moines et les nonnes qui pratiquent l'ascétisme et tâchent de faire de leur vie en ce monde la dernière. D'autre part, il y a les laïcs qui poursuivent des pratiques moins rigoureuses, mais toujours selon le même code moral commun avec les ascètes, en s'efforçant de faire notamment de bonnes actions, des pénitences et en dominant leurs passions pour espérer une meilleure incarnation dans leur vie suivante. Les règles de conduite jaïnes ont été instituées de façon que toute personne puisse les suivre. Celles des laïcs sont moins rigides que celles des ascètes, parce que les laïcs ne renoncent pas aux activités du monde. La modération est la règle pour le laïc, en ce qui concerne l'observation des vœux, alors que leur rigueur est extrême pour l'ascète. La raison évidente de cette différence vient de ce que les laïcs doivent assurer leurs moyens d'existence et ceux des ascètes, s'occuper de leur famille et s'adapter aux conditions, sociales et politiques, de la société dans laquelle ils vivent. Les ascètes n'ont pas ces contraintes. Ils abandonnent tout, avec pour seul but de suivre la voie spirituelle. Ils doivent observer les vœux de façon très rigoureuse en contrôlant en permanence leurs sens et en dominant leurs passions, grâce aux enseignements religieux et à la discipline spirituelle. Toutefois, en raison de l'éthique « stricte » consubstantielle au jaïnisme, les laïcs (hommes et femmes) doivent normalement choisir une profession et un mode de vie compatible avec leur foi, les métiers non violents, tels certains du commerce, ou de l'enseignement, sont majoritairement choisis (dans le Sud de l'Inde néanmoins, au Tamil Nadu par exemple, c'est la pratique de l'agriculture qui demeure le métier des laïcs jaïns).
Certains jaïns pratiquent la mort pacifique par le jeûne (sallekhana), afin de respecter leurs vœux de non-violence et d'ascèse, et en raison de leur grand âge ou d'une maladie incurable (cette tradition est panindienne et existe dans l'hindouisme : Vinoba Bhave l'a pratiqué par exemple). En fait, le jeûne est souvent pratiqué par les adeptes, notamment lors des diverses fêtes religieuses. Des ascètes de certaines branches jaïnes portent un tissu devant leur bouche et leur nez afin d'éviter de tuer, en les respirant, de petits insectes, tout en étant symbole de respect dans ses paroles. Le jaïnisme étant particulièrement présent au Gujarat, le Mahatma Gandhi, originaire de cet Etat indien, a été profondément influencé par la façon de vivre jaïne, paisible et respectueuse de la vie, et il en a fait une partie intégrante de sa propre philosophie : un ascète jaïn fut d'ailleurs l'un de ses meilleurs amis et enseignant, Shrimad Rajchandra.
Il serait faux de conclure que la non-violence, l'ahimsâ, interdit seulement la violence physique. Un texte jaïn déclare : « avec les trois moyens de punition – pensées, mots, actes – vous ne blesserez aucun être vivant. » En fait, la violence peut être commise par la combinaison des quatre facteurs suivants :
La non-violence (Ahimsâ) a pour autre nom le pardon. A travers le pardon est enseigné l'Ahimsâ, et la non-violence pousse à pratiquer le pardon. Le jaïnisme a pour prière principale, avec le Namokar Mantra, le Michchhami Dukkadam, récité au moins une fois par an, le jour du pardon, le Kshamavani, fête jaïne. En effet, le pardon suprême (Kṣamāpanā) est le premier point du dharma jaïn. Voici cette prière :
Khâmemi Savva Jive
Savve Jivâ Khamantu me
Mitti me Savva Bhuesu
Veram Majjha Na Kenai
Michchhami Dukkadam
Je pardonne tous les êtres vivants ;
Que toutes les âmes puissent me pardonner ;
Je suis amical envers tous ;
Je n'ai aucune animosité envers la moindre créature ;
Que toutes mes fautes puissent être dissolues.
Cette prière est capitale, car le pardon est la qualité principale que doivent cultiver les jaïns. Mahâvîra a déclaré à ce sujet :
« En pratiquant prāyaṣcitta (le repentir), une âme se débarrasse de péchés et ne commet aucune transgression ; celui qui pratique correctement prāyaṣcitta gagne un chemin et la récompense du chemin, il gagne la récompense de la bonne conduite. En priant pour le pardon il obtient le bonheur de l'esprit ; ainsi, il acquiert une disposition bienveillante envers toutes sortes d'êtres vivants ; par cette disposition bienveillante il obtient la pureté de caractère et se libère de la crainte. »
— Uttarādhyayana Sūtra 29:17-18
Même le code de conduite des moines exige que les moines demandent pardon pour toutes leurs transgressions :
« Si parmi des moines ou des nonnes advient une querelle ou un conflit, ou la dissension, le jeune moine doit demander pardon à ses supérieurs et le supérieur au jeune moine. Ils doivent pardonner et demander pardon, apaiser et être apaisé et s'entretenir sans contrainte. Pour celui qui est apaisé, il y aura le succès (dans le contrôle) ; pour celui qui n'est pas apaisé, il n'y aura aucun succès ; donc, il faut apaiser son soi. "Pourquoi tout cela a-t-il été précisé ? La paix est l'essence du monachisme". »
— Kalpa Sūtra 8:59.
Il y aussi le Iryavahi sutra, prière jaïne demandant pardon à tous les êtres vivants pour les avoir lésés lors d'activités quelconques :
« Pouvez vous ceci, ô Révéré ! Permettez-moi la grâce de ce qui va suivre. Je voudrais avouer mes péchés engagés en me déplaçant. J'honore votre permission. Je désire me délier des péchés en les avouant. Je cherche le pardon de tous ces êtres vivants que j'ai torturés en marchant, en allant et venant, en mettant le pied sur un quelconque organisme vivant – des graines, l'herbe verte, des gouttes de rosée, des fourmilières, la mousse, l'eau vivante, la terre vivante, la toile d'araignée et d'autres créatures. Je cherche le pardon de tous ces êtres vivants, qu'ils aient – un sens, deux sens, trois sens, quatre sens ou cinq sens. Tous ceux qui ont été victimes d'un coup de pied, couverts par la poussière, frottés au sol, mis en collision avec d'autre, mis sens dessus dessous, torturés, effrayés, changés d'un endroit à un autre ou tués et privés de leur vie. En avouant ces actes, puis-je être délié de tous ces péchés. »
Le disciple jaïn doit méditer et pratiquer les quatre vertus suivantes qui sont à la base des cinq grands vœux :
Outre les cinq petits vœux du laïc, les vertus de base du jaïn s'incarnent dans l'abstention de consommer les « trois M » que sont :
Afin de réduire au minimum les dommages aux êtres vivants, une abstinence totale de ces « trois M » est préconisée (la viande est considérée comme une source infinie de violence – contraire à l'ahimsâ –, de maltraitance (la maltraitance suprême étant le fait de tuer), et est rejetée totalement en tout premier lieu). Et de manière plus générale, le jaïnisme encourage vivement à un mode de vie végan
Ainsi, dans l'ouvrage classique tamoul, le Tirukkural, du poète antique Tiruvalluvar, qui est considéré pour être un jaïn par quelques lettrés (il est aussi considéré comme étant un hindou shivaïte ou vishnouïte), les mangeurs de viande sont critiqués en ces termes :
« 256. Si le monde n'achetait ni ne consommait de la viande, personne n'abattrait de créatures et il n'y aurait aucune viande à vendre »
Dans l'important traité shvetâmbara intitulé Yoga-shâstra, écrit par le célèbre Âchârya Hemacandra, il y a mention des trois buts de la vie du laïc idéal, que ce dernier doit pratiquer sans en exclure aucun :
Lorsque le laïc s'engage sur la voie plus approfondie de sa religion en devenant ascète, le Moksha, « Libération » (du cycle des réincarnations), devient le but principal qui subordonne absolument tous les autres. Il devient ainsi exemplaire et un guide pour les laïcs jaïns et la société.
Les deux sectes principales du jaïnisme trouvent leur origine dans des événements qui se sont produits environ 200 ans après la mort de Mahâvîra. À cette époque, Bhadrabahu, le chef spirituel des moines jaïns, avait prévu une période de famine de douze années et, afin de l'éviter, il avait conduit tous ceux qui avaient accepté de le suivre, aussi bien ascètes que laïcs, dans le sud de l'Inde. Après que la famine eut disparu, Bhadrabahu retourna au nord et constata que, durant son absence, la vie monastique s'était corrompue. Les moines portaient de longues robes blanches au lieu d'aller « habillés de ciel », ou « d'espace », c'est-à-dire nus comme prescrit par Mahâvîra. La pratique de la nudité était, et est toujours actuellement, un refus d'accéder au désir de confort du corps, et surtout une marque de détachement absolu du monde. Cette nudité complète est suivie seulement par les moines jaïns digambara, jamais par les moines jaïns shvetambara, ni par les nonnes, ni par les laïcs.
Bhadrabahu s'opposa avec force à la faiblesse qui avait conduit les moines à porter des habits. Les moines qui continuèrent à porter des robes blanches prirent le nom de Shvetâmbara (« vêtus de blanc »), tandis que ceux qui continuèrent à ne rien porter se nommèrent Digambara (« vêtus de ciel » ou « vêtus d'espace »). Les deux groupes ascétiques sont demeurés séparés à ce jour. Toutefois, du point de vue de l'essence même du jaïnisme, ces différences sont minimes. Le principal facteur de désaccord, analogue dans les deux sectes, concerne l'attitude envers les statues installées dans les temples : les courants traditionnels les vénèrent et leur portent des offrandes, tandis que d'autres courants s'y refusent absolument, notamment sous l'influence de l'islam.
On distingue actuellement des branches tant chez les Shvetambara que chez les Digambara.
À noter, chez les Shvetambara: 1) les Murtipujaka qui vénèrent les statues des Tirthankara en leur offrant des fleurs, des fruits, du safran, et en les ornant de vêtements et de bijoux ; 2) les Sthanakavasi qui ne pratiquent pas la vénération des statues et qui n'exercent pas leurs activités religieuses dans des temples mais dans des halls de prières (sthanaka). De plus, leurs ascètes recouvrent leur bouche d'un bandeau de tissu. Enfin, ils ne reconnaissent comme valables que certains livres sacrés des Murtipujaka ; 3) les Terapanthi qui n'admettent l'existence que d'un seul Acharya (Maître spirituel) pour toute leur communauté et ne vénèrent pas non plus les statues. Leurs ascètes portent aussi un bandeau devant la bouche et pratiquent des pénitences sévères.
À noter, chez les Digambara: 1) les Bisapanthi qui reconnaissent l'existence de chefs religieux, connus sous le nom de Bhattaraka, revêtus de robes et de turbans orange, et qui dirigent des monastères d'ascètes. Les Bisapanthi vénèrent les statues des Tirthankara comme les Murtipujaka et y ajoutent l'arti (l'agitation devant elles de lampes allumées semblables à celles des Hindous): 2) les Terapanthi qui rejettent l'autorité des Bhattaraka mais qui, à la différence de leurs semblables Shvetambara, admettent le pratique de la nudité par leurs moines.